Le phénomène de la dépendance à l’aide sociale, souvent qualifié de « malédiction de Tantale », désigne la transmission intergénérationnelle de la pauvreté et de la dépendance aux aides publiques. En Suisse, ce cycle semble perdurer, particulièrement au sein des familles proches, mais il ne semble pas condamner les générations suivantes à une dépendance à vie.
Une étude menée par l’Institut de politique économique suisse de l’Université de Lucerne explore ce phénomène en analysant les données des jeunes adultes suisses. Les résultats montrent que la transmission de cette dépendance reste forte entre parents et enfants, mais diminue rapidement au fur et à mesure que l’on s’éloigne des générations directes.
Une transmission intergénérationnelle limitée
L’étude de l’Université de Lucerne a porté son attention sur les jeunes adultes âgés de 20 à 33 ans, une tranche d’âge clé pour l’entrée dans la vie active. Cette période est cruciale, car elle marque la transition entre l’éducation et le monde du travail. En Suisse, 4 % de cette tranche d’âge recourt à l’aide sociale, un taux légèrement plus élevé que la moyenne nationale. Ce chiffre pourrait sembler élevé, mais ce qui est particulièrement intéressant dans cette étude, c’est l’analyse de la transmission de la dépendance à l’aide sociale entre générations.
Les résultats révèlent qu’une personne ayant des parents ou des frères et sœurs bénéficiaires de l’aide sociale a environ 22 % de chances supplémentaires de se retrouver dans la même situation. Ce chiffre montre l’importance du milieu familial dans la propagation de cette dépendance. Cependant, une différence nette apparaît lorsque l’on compare les relations entre cousins, qui partagent les mêmes grands-parents mais pas les mêmes parents. En effet, les jeunes ayant des cousins bénéficiaires de l’aide sociale n’ont que 4 % de chances supplémentaires d’y recourir à leur tour. Ce faible taux de transmission entre cousins montre que, même au sein de la famille élargie, l’influence de la dépendance sociale diminue considérablement.
L’étude indique également que la transmission de l’aide sociale entre grands-parents et petits-enfants n’atteint que 20 %, un chiffre bien inférieur aux 42 % observés entre parents et enfants. Ces résultats suggèrent que la « malédiction de Tantale », qui signifie que la dépendance à l’aide sociale se perpétue sur plusieurs générations, n’est pas un phénomène systématique en Suisse. La dépendance ne semble pas se transmettre de manière durable entre générations, mais plutôt disparaître rapidement après deux générations.
Le rôle de la mobilité sociale dans la réduction de la dépendance
Un facteur clé qui atténue cette « malédiction » en Suisse réside dans la grande perméabilité du système éducatif. Contrairement à de nombreux autres pays où les inégalités sociales se reproduisent, la Suisse offre de nombreuses possibilités de formation tout au long de la vie. Ainsi, les jeunes adultes, même issus de familles défavorisées, ont la possibilité de commencer par un apprentissage et de poursuivre leurs études à des niveaux plus élevés, y compris dans des écoles spécialisées ou des universités. Cette flexibilité permet à de nombreux jeunes de briser le cycle de la pauvreté en acquérant des qualifications professionnelles qui les propulsent vers de meilleurs emplois.
L’économiste Melanie Häner-Müller souligne l’importance de l’éducation et des qualifications professionnelles supérieures dans la réduction des inégalités économiques. En Suisse, un individu peut obtenir un revenu élevé, même si sa famille ne dispose pas de grandes ressources financières. Cela contraste avec de nombreux autres pays où les enfants issus de milieux pauvres sont souvent confinés à des emplois peu rémunérés. L’étude montre que, même si la famille exerce une influence sur le recours à l’aide sociale, cette influence est bien plus faible à long terme et se dissipe généralement après deux générations.
Ce phénomène est en grande partie dû à la mobilité sociale permise par le système éducatif suisse, qui permet une réelle ascension sociale. En outre, la possibilité d’accéder à des formations professionnelles à tout âge contribue à une réduction de la dépendance à l’aide sociale. Il est important de noter que, si la famille reste un facteur influent à court terme, la formation et les performances personnelles ont un poids plus déterminant sur le long terme.








