Une stratégie d’optimisation fiscale peu connue permet à certains indépendants belges de réduire considérablement leurs impôts. Cette méthode, parfaitement légale, repose sur la structuration d’un montage autour de l’usufruit immobilier.
Récemment validée par un arrêt de la Cour de cassation, cette pratique rend toute contestation fiscale difficile. Elle attire l’attention sur une faille du système que l’administration, notamment flamande, n’a pas réussi à refermer.
Une stratégie fondée sur l’achat en démembrement d’un bien immobilier
La technique consiste pour un chef d’entreprise à acheter un bien immobilier avec sa société, en procédant à un achat démembré. Concrètement, la société acquiert l’usufruit, c’est-à-dire le droit d’utiliser le bien et d’en percevoir les revenus (par exemple les loyers), tandis que le chef d’entreprise achète à titre personnel la nue-propriété, soit la propriété sans les droits d’usage.
Le schéma permet de loger les dépenses immobilières dans la société tout en conservant à titre privé la propriété finale du bien. Au terme de la période d’usufruit (généralement 20 ans), la pleine propriété revient automatiquement à la personne physique, sans qu’elle ait à racheter le bien ni à s’acquitter d’un impôt supplémentaire. Ce transfert, totalement prévu par le droit civil, n’est pas considéré comme un avantage en nature taxable par l’administration fiscale.
La Cour de cassation, saisie dans le cadre d’un litige entre un entrepreneur et l’administration fiscale flamande, a récemment validé cette méthode, selon Sudinfo. Dans son arrêt, elle a jugé que le montage ne violait ni l’esprit ni la lettre de la loi fiscale, du moment qu’il était correctement structuré et justifié par des évaluations objectives. Cette décision met un coup d’arrêt aux tentatives des autorités de remettre en cause systématiquement ces opérations.
La conséquence directe de cette décision est qu’un dirigeant peut extraire de la valeur de sa société de manière indirecte, en contournant le poids de l’impôt sur les revenus ou les dividendes. Dans certains cas, les gains peuvent représenter jusqu’à 50 % d’économies fiscales, en fonction de la valeur du bien et de la durée de l’usufruit.
Un mécanisme légal, mais peu encadré, qui interroge l’administration
Cette stratégie, bien que connue dans les cercles de la fiscalité privée, reste largement ignorée du grand public. Elle est principalement utilisée par des indépendants, des professions libérales ou des dirigeants de PME disposant de liquidités importantes au sein de leur société. Ce montage requiert l’intervention de spécialistes, notamment en évaluation immobilière et en droit fiscal, mais son efficacité attire de plus en plus de contribuables fortunés.
L’administration fiscale flamande (Vlabel), qui avait initialement tenté de bloquer le dispositif, a vu ses positions systématiquement rejetées par les juridictions belges. Le SPF Finances fédéral, quant à lui, n’a pas encore annoncé de mesure concrète en réaction à cet usage croissant du démembrement de propriété. Pour certains fiscalistes, cette inaction traduit une impasse juridique, tant la technique est solidement ancrée dans les règles du droit privé.
Dans ce contexte, un autre service du SPF Finances, bien moins connu du public, pourrait permettre d’éviter les litiges : le Service des décisions anticipées (SDA). Celui-ci permet à un contribuable d’obtenir une validation préalable d’un montage fiscal. En sollicitant une décision anticipée, un entrepreneur peut ainsi sécuriser son montage, y compris en cas de contrôle ultérieur. Cette voie, bien qu’efficace, reste peu utilisée par manque de communication autour de ses avantages.
Plusieurs experts fiscaux estiment que le véritable enjeu n’est pas tant de fermer la faille que de réformer en profondeur la fiscalité des revenus mobiliers. Le fait qu’un dirigeant puisse retirer légalement des montants importants de sa société sans être imposé souligne les déséquilibres entre les formes de rémunération. Les discussions actuelles sur une réforme fiscale globale devront nécessairement aborder cette question si le législateur souhaite rétablir un traitement plus homogène des revenus.