Le gouvernement fédéral belge a lancé une réforme controversée de l’assurance chômage, visant à renforcer l’obligation d’insertion professionnelle. Cette réforme, portée par le ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS), touche notamment aux droits des chômeurs qui suivent une formation.
Elle soulève de nombreuses interrogations dans un contexte de pénurie chronique de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs clés. Le débat s’intensifie sur l’opportunité d’exclure du chômage les demandeurs d’emploi qui se forment à ces métiers pourtant essentiels.
Une réforme au nom de l’activation des chômeurs
Le projet gouvernemental s’inscrit dans une logique d’activation renforcée des chômeurs, dans l’objectif d’augmenter le taux d’emploi en Belgique, encore bas par rapport à ses voisins européens. L’exécutif souhaite durcir l’accès au chômage après une certaine période d’inactivité et conditionner plus strictement les allocations à la recherche active d’un emploi. Dans ce cadre, la réforme propose de réduire ou de supprimer le droit aux allocations pour les chômeurs qui ne répondent pas à certains critères d’insertion, même s’ils sont engagés dans une formation professionnelle.
La question se pose avec une acuité particulière pour les formations aux métiers dits en pénurie. Ces formations, souvent longues et qualifiantes, concernent des secteurs comme la construction, les soins de santé, l’horeca ou encore l’informatique, qui peinent à recruter malgré une demande élevée. En Wallonie, le Forem estime à 129 le nombre de fonctions critiques, contre 234 en Flandre, selon L’Echo. Pourtant, les personnes qui se forment pour ces fonctions pourraient perdre leur droit aux allocations si elles ne démontrent pas de lien direct et immédiat avec une promesse d’emploi.
Ce renforcement inquiète fortement les acteurs du terrain. Pour Sabine Laruelle, présidente du Conseil central de l’économie, « la formation est un vecteur d’insertion, pas un obstacle ». Les syndicats dénoncent un projet qui criminalise la recherche de qualification, alors même que le manque de main-d’œuvre qualifiée est reconnu par toutes les institutions. L’exclusion des allocataires en formation pourrait aussi dissuader certains chômeurs de s’engager dans un parcours de reconversion, allongeant encore la durée de leur inactivité.
Tension entre politique sociale et logique de marché
La réforme illustre un tiraillement croissant entre la volonté de renforcer la responsabilité des chômeurs et celle de répondre aux besoins réels du marché de l’emploi. Si le gouvernement veut accélérer le retour à l’emploi, certains observateurs estiment que cela passe d’abord par une offre de formation adaptée et accessible, plutôt que par une sanction. En supprimant l’accès au chômage pour les stagiaires sans contrat ou promesse d’embauche, la mesure risque de pénaliser les parcours non linéaires, fréquents dans les reconversions professionnelles.
Dans les faits, le risque d’exclusion n’est pas hypothétique. La réforme prévoit que les demandeurs d’emploi en formation doivent, chaque mois, prouver le caractère « valorisable » de leur apprentissage, avec à la clé des suspensions en cas de non-respect. Cela introduit une pression constante, jugée contre-productive. Selon les chiffres du Forem, en 2023, près de 48.000 demandeurs d’emploi ont suivi une formation qualifiante. Beaucoup d’entre eux le font sans garantie immédiate d’embauche, notamment dans des secteurs techniques ou en évolution rapide, où le temps d’adaptation est inévitable.
Le débat dépasse le seul cadre belge. À l’échelle européenne, plusieurs pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas investissent massivement dans les formations pour adultes, considérées comme des leviers pour l’avenir du travail. La Belgique, elle, semble privilégier une approche plus coercitive, quitte à rogner sur l’incitation à se former. Pour les économistes du Bureau du Plan, la formation reste pourtant un des seuls moyens durables de sortir du chômage de longue durée, en particulier pour les personnes peu qualifiées. Le risque est donc de voir cette réforme, pensée pour accélérer l’insertion, produire l’effet inverse.