Parmi les dispositifs antivols, le gravage des vitres des véhicules neufs et d’occasion est une pratique courante en France, même si elle n’est officiellement pas obligatoire. Présenté par les concessionnaires et par les assureurs comme un vrai avantage, elle n’apporte pourtant qu’une réponse très limitée au fléau des vols de voitures.
Tous les concessionnaires et tous les assureurs le proposent ou le conseillent à leurs clients : le gravage des vitres – qui coûte entre 80 et 100 euros – serait selon eux un dispositif dissuasif contre les tentatives de vol. Il s’agit, lors de l’acquisition d’un véhicule de faire graver sur le pare-brise, les vitres latérales avant et arrière, et sur la lunette arrière, le numéro d’identification du véhicule concerné, comprenant soit les 8 derniers caractères du numéro de châssis, soit ceux de la plaque d’immatriculation. Ce dispositif n’est pas obligatoire – comme le stipule la réglementation de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) –, mais vendu généralement dans un package de services. Sur le papier, l’idée semble judicieuse, mais elle ne résiste pas à l’examen des faits.
Comment ça marche ?
Une fois le numéro gravé, ce dernier est inscrit sur le fichier national Argos que peuvent consulter les forces de l’ordre et les assureurs. Ce numéro y restera six ans et fait l’objet, de la part du propriétaire du véhicule, d’un abonnement annuel, en sus du coût initial. Un abonnement que certains clients considèrent parfois comme abusif suite à des relances insistantes ou à leurs demandes de résiliation qui ne sont pas honorées, de nombreux acquéreurs se plaignant sur les forums en ligne de procédés commerciaux peu informatifs.
Une fois enregistrée, cette inscription permettra donc, dans le cas où un véhicule est retrouvé, d’être identifié. Selon la plateforme Argos, les vols de véhicules représentent « un enjeu économique pour la collectivité, car chaque année, des milliers de véhicules sont volés et représentent plusieurs millions d’euros de préjudices. Ce risque vol est inclus dans les primes d’assurance. Aujourd’hui, Argos accompagne les forces de l’ordre sur le terrain pour apporter l’expertise de détection et d’identification de véhicules volés et permet de découvrir près de 11000 véhicules par an ». Cette formulation pourrait prêter à confusion, car il ne s’agit pas d’un dispositif permettant de « découvrir », mais d’identifier un véhicule retrouvé. Il ne s’agit en effet pas d’un système permettant de géolocaliser une voiture volée comme peut l’être un traceur GPS.
Augmentation du nombre de vols
L’argument principal, avancé par les professionnels, est l’effet dissuasif du gravage, les voleurs hésitant davantage à passer à l’action. Qu’en est-il réellement sur le terrain ? Selon le baromètre 2023 de cette même institution – Argos –, les vols de voitures ont augmenté de +11,1% entre 2022 et 2023, avec 70649 vols de véhicules – tous types confondus –enregistrés l’an dernier (contre 63565 en 2022). Une hausse qui atteint même +15% en ce qui concerne les voitures. Les principaux départements touchés seraient ceux de la région parisienne et les Bouches-du-Rhône.
Difficile dans ce cas de maintenir l’argument de la dissuasion. « En 2022, nous avions déjà observé une augmentation, avance Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs. Mais en 2023, c’est une franche accélération. Alors que les vols de véhicules étaient orientés à la baisse sur les quinze années précédentes. Les automobilistes doivent prendre conscience de l’enjeu autour des vols de véhicules, car au-delà des assureurs, c’est la communauté des assurés qui paie la facture. » Selon France Assureurs, cette facture s’élèverait en effet à 580 millions d’euros, les véhicules ainsi volés partiraient pour la plupart vers l’étranger, via des réseaux criminels internationaux.
Les dispositifs réellement dissuasifs
Ces dix dernières années, les voitures se sont modernisées à grands coups d’électronique, et les voleurs se sont évidemment adaptés. Si le gravage des vitres peut permettre l’identification d’un véhicule après coup, il s’agit surtout – pour les acheteurs – d’anticiper les vols eux-mêmes ou de pouvoir localiser leur véhicule volé. Certains dispositifs réellement dissuasifs sont mécaniques (canne antivol et bloque-volant, alarmes ou films antieffraction sur les vitres) ou électroniques, avec l’utilisation d’un traceur GPS, celle d’un étui anti-ondes RFID pour éviter le piratage de la carte d’accès au véhicule, le masquage de la prise OBD du véhicule (qui donne accès à son système électronique) ou, pour les plus pointus, l’utilisation d’un boîtier anti-mousejacking empêchant toute connexion tierce entre la clé électronique et le véhicule.
Quel que soit le système ou la combinaison de systèmes choisis, le risque zéro n’existe pas bien évidemment. En février dernier, une entreprise de cybersécurité s’est « amusée » à démontrer qu’elle pouvait voler une Tesla avec un simple smartphone. Tout dépend finalement du profil du véhicule – les voitures électriques sont moins ciblées – et du profil du voleur, entre le petit délinquant local et le réseau international. Selon les statistiques de la Division nationale pour la répression des atteintes aux personnes et aux biens (DNRAPB), environ 60% des véhicules volés en France seraient retrouvés sans qu’aucun délai ne soit précisé. Or, au-delà de plusieurs semaines l'état du véhicule est bien souvent dégradé, soit démonté pour un trafic de pièces détachés, soit endommagé s'il a servi à différents trafics par exemple pour les modèles les plus puissants. Qu’arrive-t-il aux 40% restants ? D’après les données de la DNRAPB, les véhicules premium partent en container, principalement vers l’Europe de l’Est, l’Italie et le Moyen Orient, les véhicules bas de gamme ou vieillissants vers le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne. Pour ces pays, que les vitres soient gravées ou non ne fait évidemment pas de différence.