La Suisse, pays traditionnellement prisé pour son cadre fiscal avantageux, se trouve face à une menace grandissante sur son statut de havre fiscal. L’initiative des Jeunes socialistes, qui propose de prélever jusqu’à 50 % sur les successions de plus de 50 millions de francs, suscite une vive inquiétude. Alors que le vote populaire n’a pas encore eu lieu, les premiers signes de cette réforme se manifestent déjà. De nombreux super-riches se tournent désormais vers d’autres pays, redoutant les conséquences économiques et fiscales d’une telle mesure.
L’enquête de PwC, qui a interrogé 44 conseillers fiscaux, fiduciaires et avocats indépendants, souligne que cette initiative est perçue comme un frein à l’attrait de la Suisse pour les grandes fortunes internationales. Selon les experts, la mise en place de cette taxe sur les successions aurait déjà un effet néfaste sur la réputation de la Suisse, incitant certains à revoir leur projet de s’installer dans le pays.
L’initiative des Jeunes socialistes et ses premières conséquences
L’initiative des Jeunes socialistes, qui prévoit de taxer à hauteur de 50 % toute succession dépassant les 50 millions de francs, suscite des inquiétudes dans les cantons suisses et au-delà. À Nidwald, par exemple, le gouvernement cantonal a exprimé son inquiétude concernant les 100 super-riches résidant dans le demi-canton, dont la fortune dépasse les 50 millions de francs. Si ces résidents venaient à partir, le canton devrait augmenter ses impôts de 29 % pour compenser la perte de recettes fiscales. Cette situation met en évidence les tensions entre la nécessité de financer les finances publiques et le risque de voir les grandes fortunes fuir.
L’impact sur les finances publiques pourrait donc être important. Nathalie Fontanet, cheffe des Finances à Genève, a récemment alerté sur les « dommages économiques importants » que cette initiative pourrait causer avant même que le peuple suisse ne se prononce. L’initiative, bien qu’encore en attente de vote, a déjà modifié la perception qu’ont certains investisseurs étrangers de la Suisse, qui, par peur d’une fiscalité plus lourde, envisagent sérieusement de déménager dans d’autres pays.
L’attractivité de la Suisse en question
La question de l’attractivité de la Suisse pour les étrangers fortunés est au cœur du débat. Selon Jürg Niederbacher, partenaire chez PwC Suisse, l’attrait du pays a déjà diminué au profit d’autres destinations fiscales. De nombreux clients de PwC, principalement britanniques, avaient initialement envisagé la Suisse comme lieu de résidence, mais ont finalement opté pour d’autres pays en raison de la menace de la nouvelle taxe sur les successions. L’incertitude créée par l’initiative semble dissuader ceux qui auraient voulu transférer leur résidence fiscale en Suisse.
Ce phénomène n’est pas sans conséquences. En effet, l’afflux de capitaux étrangers, notamment ceux des très grandes fortunes, a longtemps été un moteur de l’économie suisse. Le départ potentiel de ces résidents pourrait mettre à mal l’économie de certains cantons, qui dépendent de ces personnes pour leurs recettes fiscales. En outre, l’influence de ces super-riches dans l’économie locale et leurs investissements dans des entreprises suisses pourrait aussi être réduite.
Les critiques de l’initiative et la position des économistes
Les critiques ne se sont pas fait attendre, en particulier de la part des Jeunes socialistes, dont la présidente, Mirjam Hostetmann, a qualifié l’enquête de PwC de biaisée. Selon elle, le sondage repose sur des estimations et non sur des chiffres concrets, et elle y voit une tentative de manipulation de la part du « lobby des riches ». Hostetmann soutient que ce sondage est un moyen de détourner l’attention des véritables enjeux, notamment la question de l’impact de ces grandes fortunes sur la crise climatique.
Toutefois, certains économistes, comme Marius Brülhart, professeur d’économie politique à l’Université de Lausanne, partagent l’idée que l’initiative pourrait dissuader certains multimillionnaires de s’installer en Suisse. Brülhart s’appuie sur des études économiques qui montrent que les personnes âgées et fortunées réagissent souvent en déménageant lorsque les impôts sur les successions augmentent. Selon ses projections, entre 49 % et 74 % des multimillionnaires touchés par l’initiative pourraient quitter le pays. Ces données sont corroborées par des analyses sur l’impact de changements fiscaux importants dans d’autres pays.
Une réforme fiscale aux conséquences incertaines pour les finances suisses
L’impact sur les finances publiques reste difficile à évaluer, mais les projections faites par Brülhart pour l’Administration fédérale des contributions donnent une idée des possibles conséquences. Si l’initiative est acceptée, la Suisse pourrait encaisser 300 millions de francs supplémentaires. Toutefois, dans le pire des scénarios, elle pourrait aussi perdre jusqu’à 700 millions de francs. Ce montant dépendrait du nombre de multimillionnaires qui quitteraient le pays suite à l’introduction de cette taxe sur les successions.
Face à cette incertitude, des figures politiques, comme Thierry Burkart, président du PLR, appellent à soumettre l’initiative au vote dès que possible, en raison de l’impact anticipé sur l’économie suisse. Ils soulignent que l’insécurité juridique que crée cette initiative, notamment pour les personnes fortunées qui hésitent à s’établir en Suisse, constitue un obstacle majeur à l’attractivité du pays.
Les premières conséquences sont déjà visibles et les experts s’accordent à dire que l’incertitude entourant cette réforme fiscale pourrait s’avérer plus néfaste que la mesure elle-même. Les décisions de certains multimillionnaires de quitter la Suisse montrent qu’une révision rapide de cette initiative pourrait être nécessaire pour ne pas nuire durablement à l’économie suisse.