Le nombre de travailleurs frontaliers italiens en recul en Suisse, une première en 20 ans

Le nombre de travailleurs italiens au Tessin a diminué de 1,1 % en 2024, rompant avec plus de vingt ans de croissance. Ce recul soulève des questions sur ses causes et ses effets sur l’emploi local.

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Frontaliers italiens
Le nombre de travailleurs frontaliers italiens en recul en Suisse, une première en 20 ans | Econostrum.info - Suisse

Depuis l’introduction de la libre circulation des personnes en 2002, le canton du Tessin a connu une augmentation constante du nombre de travailleurs frontaliers. À la fin de l’année 2024, 78 683 frontaliers étaient employés dans la région, soit une baisse de 896 personnes par rapport à 2023, selon l’Office fédéral de la statistique. Cette diminution de 1,1 % intervient après plusieurs décennies de hausse, un contraste marqué avec la situation nationale où le nombre de travailleurs frontaliers a progressé de 2,9 %.

Ce phénomène ne se limite pas au Tessin. D’autres régions suisses enregistrent également un repli du nombre de travailleurs frontaliers, notamment l’Est du pays (-0,9 %) et les Grisons (-6 %). En analysant les chiffres par pays d’origine, Watson rapporte que l’Italie affiche une baisse de 1,4 %, avec un total de 91 101 travailleurs frontaliers sur l’ensemble du territoire suisse. La diminution est aussi visible pour l’Autriche (-0,9 %), tandis que la France reste le principal pays d’origine des travailleurs frontaliers avec 236 219 personnes, suivie par l’Allemagne avec 66 511 travailleurs.

Ce repli marque un tournant pour le canton du Tessin, où le nombre de frontaliers a plus que doublé depuis 2004, passant de 35 312 à près de 80 000 en 2024. Malgré cette baisse récente, les travailleurs italiens restent fortement représentés dans certains secteurs, notamment les soins et la restauration.

Un contexte fiscal et économique moins favorable aux frontaliers italiens

Plusieurs raisons expliquent ce ralentissement. En premier lieu, le nouvel accord fiscal entre la Suisse et l’Italie, entré en vigueur le 17 juillet 2023, modifie la taxation des travailleurs frontaliers. Désormais, ceux qui commencent à travailler en Suisse doivent payer des impôts à la fois en Italie et en Suisse. Cette nouvelle imposition peut entraîner une hausse d’impôts de 10 à 30 % par rapport à l’ancien régime, où les frontaliers ne payaient des impôts qu’en Suisse.

Cette évolution fiscale s’ajoute à une amélioration de la situation économique en Italie, notamment en Lombardie. D’après Luca Albertoni, directeur de la Chambre de commerce du Tessin, cité par le média, les travailleurs hautement qualifiés trouvent de plus en plus d’opportunités en Lombardie avec des salaires compétitifs. Cela réduit l’attractivité de la Suisse pour de nombreux Italiens qui hésitent désormais à traverser la frontière quotidiennement pour travailler.

Dans certains secteurs, cette baisse de la main-d’œuvre frontalière se fait déjà ressentir. GastroTicino, l’association des restaurateurs tessinois, signale une diminution des candidatures en provenance d’Italie. Malgré cela, la proportion de travailleurs italiens reste élevée, notamment dans les soins et la santé, où les écarts de salaires entre la Suisse et l’Italie demeurent importants.

Tensions autour de la taxe sur la santé et perspectives incertaines

La situation des travailleurs frontaliers est également marquée par des tensions liées à une nouvelle taxation en Italie. Le gouvernement italien de Giorgia Meloni souhaite instaurer une « taxe sur la santé » destinée aux anciens frontaliers. Cette mesure, intégrée à la loi de finances 2024, vise à financer les services de santé en Italie pour les travailleurs résidant de l’autre côté de la frontière.

Cette taxe suscite de vives protestations. Lors d’une réunion syndicale récente à Varèse, les travailleurs frontaliers ont dénoncé ce prélèvement, affirmant que « les frontaliers ne sont pas des distributeurs de billets ». Selon la même source, les syndicats considèrent cette taxe comme une double imposition qui pourrait être contestée devant la Cour constitutionnelle italienne.

De son côté, le Conseil fédéral suisse a déclaré qu’il n’était pas encore clair si la « tassa sulla salute » constituait un impôt ou une taxe causale. Cette distinction est essentielle pour déterminer sa compatibilité avec l’accord fiscal en vigueur entre la Suisse et l’Italie. Pour l’instant, cette taxe n’a pas encore été appliquée, l’Italie ne disposant pas des données salariales des frontaliers nécessaires à son calcul. Toute transmission de ces informations nécessiterait une base légale spécifique, qui devrait être approuvée par le Parlement suisse.

Cette évolution pourrait avoir des répercussions sur le marché du travail tessinois. Alors que certaines forces politiques locales ont longtemps milité pour limiter l’afflux de travailleurs frontaliers, les employeurs s’inquiètent aujourd’hui des difficultés croissantes à recruter de la main-d’œuvre qualifiée. L’Association des industries tessinoises (Aiti) redoute que cette tendance ne renforce la pénurie de personnel, notamment dans les secteurs où les frontaliers représentent une part essentielle de l’emploi.

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