La Suisse, un pays souvent associé à la stabilité économique et au bien-être, traverse une période difficile où de plus en plus de familles, y compris celles disposant de revenus réguliers, sont confrontées à des conditions de vie de plus en plus précaires. La hausse des prix des biens de consommation, en particulier des produits alimentaires et des loyers, aggrave une situation déjà tendue, impactant de nombreuses catégories sociales, y compris des travailleurs à plein temps.
Les organisations caritatives rapportent une demande d’aide en forte croissance, mais se retrouvent démunies face à l’ampleur du phénomène. Ce durcissement des conditions de vie, à la fois invisible dans les chiffres officiels et très présent sur le terrain, appelle à une réflexion urgente sur les inégalités économiques en Suisse.
La précarité économique : un phénomène croissant au cœur de la société suisse
L’impact de l’inflation sur la population suisse est particulièrement frappant lorsqu’on analyse les résultats du sondage mené par Watson en collaboration avec l’institut Demoscope. En effet, près de la moitié des Suisses ont vu leur pouvoir d’achat diminuer au cours des cinq dernières années, un phénomène amplifié pour une personne sur trois qui fait état d’une « forte baisse » de ses revenus. Les données officielles de la Confédération continuent de masquer une réalité de terrain bien plus inquiétante. Alain Bolle, directeur du Centre social protestant (CSP) à Genève, affirme que de nombreuses personnes qui ne sont pas officiellement considérées comme pauvres, selon les critères de l’Office fédéral de la statistique (OFS), peinent pourtant à joindre les deux bouts.
Cette précarisation croissante touche particulièrement les familles monoparentales, mais aussi de plus en plus de travailleurs ayant un emploi à plein temps. En effet, avoir un travail ne garantit plus une vie à l’abri de la pauvreté. Fabien Junod, président des Cartons du Cœur Romandie, souligne que les ménages, même avec deux salaires complets, se retrouvent dans l’incapacité d’équilibrer leur budget, une situation qui ne cesse d’empirer. Selon l’OFS, 8 % des travailleurs en Suisse sont désormais menacés par la pauvreté, un chiffre inquiétant alors que les coûts de la vie augmentent tandis que les salaires stagnent. Par conséquent, plus de 40 % des Suisses n’arrivent plus à économiser, et dans des régions comme Genève, près de 30 % de la population se trouve sans épargne, une situation alarmante qui peut rendre ces ménages vulnérables à la moindre dépense imprévue.
Le problème ne se limite pas aux seules personnes officiellement en situation de pauvreté. De nombreux ménages, bien que non considérés comme pauvres par les statistiques, sont également affectés par des difficultés financières importantes. En particulier, les familles ayant des enfants sont particulièrement exposées. Dans certains cas, les familles doivent réduire le nombre de repas ou renoncer à une alimentation suffisante, comme le rapporte Alain Bolle, constatant que certains enfants ne sont même pas correctement nourris en dehors des repas scolaires.
Une demande croissante d’aide et des organisations débordées
La hausse des prix des produits alimentaires constitue un des éléments les plus frappants de la crise économique actuelle. En l’espace de quelques années, les prix des denrées de première nécessité, comme les pâtes et l’huile, ont augmenté de manière significative. Par exemple, le prix des pâtes M-Budget a grimpé de 0,65 franc en 2019 à plus de 1,20 franc aujourd’hui, tandis que l’huile végétale est passée de 2,50 francs à plus de 5 francs au plus fort de l’inflation, avant de redescendre à environ 3,50 francs. Ces hausses affectent particulièrement les personnes à faibles revenus, qui doivent faire face à des dépenses bien plus lourdes que par le passé.
Les organisations caritatives, comme Caritas, le CSP et les Cartons du Cœur, sont aujourd’hui les principales bouées de sauvetage pour de nombreuses personnes. Toutefois, elles se retrouvent elles-mêmes dépassées par l’ampleur de la demande. Selon Fabien Junod, les Cartons du Cœur ont enregistré une augmentation de 30 à 35 % de la demande dans certaines régions ces deux dernières années, un phénomène inédit. De plus, les services sociaux communaux sont eux aussi saturés, et les structures comme Caritas, malgré leur rôle essentiel, peinent à répondre à toutes les demandes.
Une des raisons de cette saturation est la crise provoquée par la pandémie de Covid-19, qui a amplifié les inégalités existantes et exacerbé les besoins d’aide. Selon Aline Masé de Caritas, les Épiceries Caritas, qui fournissent des produits alimentaires à prix réduit, voient leurs ventes augmenter à un rythme record depuis la crise sanitaire. Une tendance qui ne semble pas se ralentir, malgré les mesures prises pour contrôler l’inflation.
Les critiques des responsables de ces organisations ne se limitent pas à la hausse de la demande. Fabien Junod dénonce également le manque de soutien concret de la part des autorités publiques, notamment dans le canton de Vaud. Il estime que les pouvoirs publics doivent assumer une plus grande responsabilité dans la gestion de cette crise sociale, et non laisser les organisations caritatives dépendre uniquement de la générosité privée et des bénévoles pour remplir ce rôle.








