L’Europe connaît une montée en puissance militaire inédite depuis la fin de la Guerre froide. La guerre en Ukraine et les tensions avec la Russie ont poussé les États européens à augmenter drastiquement leurs budgets d’armement.
Entre 2021 et 2023, les dépenses militaires des pays membres de l’Union européenne ont grimpé de 13 %, atteignant 240 milliards d’euros. Pourtant, alors que la demande en armement explose, la Suisse voit son industrie de défense s’effondrer. Confrontée à des restrictions légales strictes et à une perte de compétitivité, elle peine à s’adapter à ce nouvel environnement.
Des restrictions légales qui freinent l’industrie
L’industrie de l’armement suisse, historiquement florissante, est aujourd’hui limitée par une réglementation rigide. La loi interdisant l’exportation d’armes vers des pays impliqués dans des conflits armés, une mesure qui a été renforcée en 2021 avec l’introduction d’un contrôle plus strict des licences d’exportation En conséquence, les ventes d’armes suisses à l’étranger ont reculé, passant de 900 millions de francs suisses en 2019 à 555 millions en 2023, soit une baisse de près de 40 % en quatre ans, a relaté 20Mintues.
Cette limitation a des conséquences directes sur les entreprises du secteur. Ruag, principal fournisseur d’équipement militaire du pays, a vu plusieurs contrats annulés et doit faire face à une réduction de son carnet de commandes. Mowag, filiale de General Dynamics spécialisée dans les véhicules blindés, est, elle aussi, touchée, ses ventes étant impactées par les interdictions d’exportation.
Face à cette situation, le débat sur l’assouplissement des règles d’exportation divise la classe politique. Les milieux économiques et industriels plaident pour une adaptation de la loi afin de permettre aux entreprises suisses de rester compétitives. Une initiative parlementaire a été déposée fin 2023 pour autoriser la vente d’armes à certains pays alliés, mais elle se heurte à une forte opposition. Le gouvernement, soucieux de préserver la neutralité suisse, reste prudent et ne souhaite pas nuire à son image sur la scène internationale.
Un impact économique et préoccupant
Le ralentissement de l’industrie de l’armement suisse a un effet direct sur l’emploi et l’économie nationale. Le secteur représente environ 10 000 emplois directs, auxquels s’ajoutent près de 20 000 emplois indirects dans les entreprises sous-traitantes. La baisse des commandes fragilise de nombreuses sociétés, en particulier dans les cantons de Zurich, Berne et Thurgovie, où se situent les principales usines de production. En 2022, plusieurs centaines de postes ont été supprimés chez Ruag, un signal inquiétant pour l’avenir de l’industrie.
Cette perte de vitesse soulève également des préoccupations stratégiques. La Suisse, bien qu’officiellement neutre, a toujours maintenu une industrie de défense nationale pour garantir son indépendance. Or, avec l’affaiblissement du secteur, le pays devient de plus en plus dépendant de fournisseurs étrangers pour son propre équipement militaire. En 2023, plus de 70 % des achats d’armement de l’armée suisse provenaient de l’étranger, notamment des États-Unis et de l’Allemagne. Cette dépendance pose un risque en cas de crise majeure, où les approvisionnements pourraient être perturbés.
Certaines solutions sont envisagées pour relancer l’industrie. Parmi elles, le développement de nouvelles technologies de défense, comme la cybersécurité, la robotique et l’intelligence artificielle, pourrait permettre à la Suisse de regagner en compétitivité sans pour autant assouplir ses lois sur l’exportation. Une coopération plus étroite avec l’industrie européenne, notamment à travers des projets communs, est également une piste évoquée. Toutefois, sans un changement de politique clair, les fabricants suisses risquent de continuer à perdre du terrain face à leurs concurrents.