La Suisse prête à élargir l’assiette fiscale aux fortunes mondiales ?

La fiscalité des successions en Suisse entre dans une nouvelle ère, où le champ d’application mondial de la taxe et la volatilité des fortunes remettent en question les équilibres établis.

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Impot sur la fortune
L’impôt sur les successions viserait la fortune mondiale des riches étrangers imposés au forfait en Suisse : Crédit : Canva | Econostrum.info - Suisse

L’initiative des Jeunes Socialistes suisses relance un débat sensible sur la fiscalité des grandes fortunes. Elle propose un impôt de 50 % sur les successions supérieures à 50 millions de francs. 

Cette mesure ne viserait pas uniquement les citoyens suisses fortunés, mais toucherait aussi la fortune mondiale des étrangers imposés de manière forfaitaire dans le pays. Cette dimension internationale de l’initiative pourrait provoquer un bouleversement fiscal majeur.

Une taxe au spectre élargi : les fortunes mondiales dans le viseur

Le régime d’imposition forfaitaire suisse s’adresse aux étrangers fortunés qui résident dans le pays sans y exercer d’activité lucrative. Ceux-ci sont imposés non pas sur leur revenu ou leur fortune, mais sur la base de leurs dépenses mondiales. Ce statut fiscal avantageux attire depuis des décennies des individus disposant de vastes patrimoines répartis dans plusieurs pays.

L’initiative portée par les Jeunes Socialistes introduit un changement fondamental. Elle prévoit de taxer les successions dépassant 50 millions de francs à hauteur de 50 %, en s’appuyant sur l’ensemble de la fortune mondiale, y compris celle des contribuables imposés au forfait, selon le quotidien Watson. En d’autres termes, une villa à Gstaad, une finca à Majorque, un appartement à Londres ou un compte bancaire à Dubaï seraient intégrés dans le calcul de l’assiette fiscale successorale si le centre de vie du défunt se trouve en Suisse.

Cette extension du champ fiscal pose un double enjeu. D’une part, elle pourrait générer des recettes plus importantes que prévu, car le substrat fiscal global est potentiellement plus large que les estimations officielles, qui ne tiennent pas compte de ces fortunes dispersées. D’autre part, elle rend la Suisse nettement moins attractive pour ces riches résidents étrangers. Natalie Dini, fiscaliste chez Tax Partner, alerte : « Si l’initiative est acceptée, les contribuables forfaitaires quitteront immédiatement le pays ».

Une mobilité fiscale exacerbée par l’incertitude politique

La réaction des experts est marquée par la crainte d’un exode massif des super-riches. Ces individus, souvent retraités et sans attache professionnelle, disposent d’une grande mobilité internationale. Il leur suffit de modifier leur durée de séjour ou leur domicile principal pour changer de pays d’imposition. La fiscaliste Natalie Dini souligne que ce profil de contribuable est particulièrement réactif : « Un mois de moins en Suisse, un mois de plus en Espagne, et la bascule fiscale est faite ».

Le Royaume-Uni, qui a récemment aboli son régime fiscal des « non-dom », fournit un exemple parlant. En 2023, 10 800 personnes fortunées ont quitté le pays, contre 1 600 en 2022. L’experte fiscale considère que la Suisse n’a pas pu profiter de cette migration, en raison de l’insécurité juridique générée par l’initiative suisse. L’Italie apparaît aujourd’hui comme une destination plus stable, avec un impôt forfaitaire fixé à 200 000 euros par an, jugé attractif par de nombreux experts.

Une étude du professeur Marius Brülhart, mandatée par la Confédération, estime que 77 à 93 % du substrat fiscal visé par l’initiative pourrait s’échapper à l’étranger. Cela se traduirait par une variation de +300 millions à -700 millions de francs de recettes fiscales. Toutefois, cette estimation ne prend pas en compte les fortunes mondiales des contribuables au forfait, faute de données. Si une minorité d’entre eux reste en Suisse après l’introduction de l’impôt, cela pourrait compenser largement les pertes anticipées.

Pour les Jeunes Socialistes, l’objectif est aussi moral : dénoncer un système jugé injuste où les héritiers de grandes fortunes échappent à toute contribution au financement du bien public. Leur message est direct : « Nous ne pleurerons pas les individus qui trouvent si répugnant que leurs descendants héritent ‹seulement› de 50 millions de francs non mérités et non imposables, qu’ils tournent le dos au pays ».

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