Les déficits s’accumulent pour de nombreux hôpitaux cantonaux, obligeant les autorités à repenser leur gestion. Certaines structures jugées peu stratégiques ne bénéficient plus du soutien financier nécessaire et se retrouvent contraintes de fermer ou de passer sous le contrôle d’acteurs privés. Selon Blick, Cette évolution est particulièrement visible dans le canton d’Argovie, où Swiss Medical Network (SMN) a récemment annoncé son intention de racheter l’hôpital de Zofingen, un établissement en grande difficulté.
Dans le même temps, la privatisation partielle des services hospitaliers suscite un débat politique et social. Si les investisseurs assurent qu’ils peuvent améliorer l’efficience du système, les syndicats redoutent une pression accrue sur le personnel soignant et une dégradation de la qualité des soins. Le cas de l’hôpital de Zofingen n’est pas isolé, et d’autres établissements pourraient suivre cette voie, alimentant ainsi les tensions entre partisans du service public et promoteurs d’une gestion privée.
Une crise financière qui fragilise le secteur hospitalier
Les hôpitaux publics suisses font face à des difficultés économiques grandissantes. Dans plusieurs cantons, la situation devient critique, obligeant les autorités à débloquer des fonds pour maintenir l’activité des établissements les plus touchés. Pourtant, certains hôpitaux, en particulier les plus petits, ne bénéficient pas de ces aides et se retrouvent menacés de fermeture ou de privatisation.
En décembre dernier, Swiss Medical Network a annoncé son intention de reprendre l’hôpital de Zofingen, fortement endetté. Ce groupe hospitalier privé, le deuxième plus important de Suisse, avait déjà tenté d’acquérir l’hôpital de Langenthal, sans succès. Ces rachats illustrent une tendance plus large, à savoir la privatisation progressive du secteur hospitalier, particulièrement dans les régions où les finances publiques ne permettent plus de soutenir les établissements en difficulté.
Les raisons de cette situation sont multiples. Le vieillissement de la population et la hausse des coûts médicaux augmentent la pression sur les finances des hôpitaux, tandis que la politique de tarification à l’acte limite leurs marges de manœuvre. Les cantons, en charge du financement des hôpitaux publics, se retrouvent dans une impasse budgétaire et doivent faire des choix. Certains préfèrent externaliser la gestion des établissements à des groupes privés plutôt que d’engager des fonds supplémentaires pour leur maintien.
Un modèle d’assurance intégré au cœur de la stratégie des investisseurs
L’entrée des groupes privés dans le secteur hospitalier ne se limite pas au simple rachat d’établissements en difficulté. Swiss Medical Network cherche à développer un nouveau modèle d’assurance basé sur les soins intégrés. Ce système, testé dans le Jura bernois avec l’assurance Viva en partenariat avec Visana et le canton de Berne, repose sur une organisation coordonnée des soins où les patients ne choisissent pas librement leur médecin.
L’objectif affiché par Swiss Medical Network et Visana est d’étendre ce modèle à d’autres régions, notamment dans le Mittelland avec l’acquisition de l’hôpital de Zofingen. D’ici 2030, ils ambitionnent de créer dix zones de soins intégrés en Suisse, regroupant environ 100 000 assurés. Aujourd’hui, Viva compte déjà 3 000 membres, et son expansion est prévue au Tessin en 2025.
Selon Stefan Felder, économiste de la santé à l’Université de Bâle, les groupes hospitaliers privés voient un potentiel économique important dans ces modèles. Ils permettent d’optimiser les coûts grâce à des processus uniformisés et une meilleure rationalisation des ressources. Cette approche est toutefois critiquée par les syndicats, qui craignent une réduction de la qualité des soins et une détérioration des conditions de travail du personnel hospitalier.
L’influence croissante des investisseurs étrangers dans le secteur hospitalier
L’essor des groupes hospitaliers privés en Suisse s’accompagne d’un intérêt croissant des investisseurs étrangers. Swiss Medical Network appartient à la société Aevis Victoria, qui possède également plusieurs hôtels de luxe, dont le Crans Ambassador à Crans-Montana et le Victoria-Jungfrau Grand Hotel à Interlaken. Cette diversification témoigne d’une approche financière où les établissements de santé sont considérés comme des actifs stratégiques au même titre que l’immobilier haut de gamme.
Parmi les actionnaires d’Aevis Victoria figurent le fonds d’investissement américain Medical Properties Trust et le fonds souverain du Koweït. Medical Properties Trust détient la moitié des biens immobiliers de Swiss Medical Network, ce qui souligne le poids du capital étranger dans la restructuration du paysage hospitalier suisse.
L’intérêt des investisseurs ne se limite pas aux établissements en difficulté. Selon Blick, Swiss Medical Network s’intéresse également au financement de la construction du nouveau centre hospitalier de Bienne, un projet évalué à 250 millions de francs. Cette participation du secteur privé à des projets d’infrastructure hospitalière pose la question de l’indépendance des établissements publics et de la pérennité d’un modèle de santé centré sur le service public.
Face à cette évolution, le Conseil fédéral ne prévoit pas d’intervention spécifique. Il estime que les synergies entre acteurs publics et privés peuvent contribuer à rationaliser le système de santé. Cette position laisse aux cantons la liberté de décider de l’avenir de leurs hôpitaux, entre gestion publique et ouverture au capital privé.