Jusqu’à 8000 francs en cash pour être opéré plus vite : les médecins suisses réservent les soins aux plus riches

La multiplication de paiements non déclarés pour accélérer l’accès aux soins en Suisse révèle un système fragilisé par des dérives éthiques et juridiques.

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Jusqu’à 8000 francs en cash pour être opéré plus vite : les médecins suisses réservent les soins aux plus riches : Crédit : Canva | Econostrum.info - Suisse

Le système de santé suisse est aujourd’hui confronté à des allégations graves portant sur l’intégrité d’une partie de son corps médical. Plusieurs médecins sont accusés d’avoir exigé des sommes importantes en espèces, non déclarées, pour garantir un accès accéléré aux soins. 

Ces paiements, qualifiés de pots-de-vin par certains, concernent pourtant des interventions couvertes par l’assurance de base. L’ampleur réelle de ces pratiques reste incertaine, mais les signalements s’accumulent dans plusieurs cantons, suscitant de vives réactions au sein de la société civile et des autorités sanitaires.

Une monétisation informelle de la rapidité d’accès aux soins

En Suisse alémanique, une faîtière regroupant plusieurs centres d’aide aux patients a recensé 32 signalements en six mois faisant état de paiements non officiels exigés par des médecins, en échange d’un traitement plus rapide. Ces cas se concentrent principalement dans le canton de Zurich, et concernent à la fois la médecine générale et des spécialités chirurgicales. Mario Fasshauer, directeur du Zürcher Patientenstelle, a confié au journal Tages-Anzeiger, que les montants demandés vont de 300 francs pour une consultation rapide chez un généraliste de garde à 8000 francs pour une opération de chirurgie bariatrique, bien que ces soins soient déjà intégralement couverts par l’assurance de base.

Ces transactions sont systématiquement effectuées en espèces, ce qui permet aux praticiens d’échapper à toute traçabilité administrative ou fiscale. Le caractère informel et confidentiel de ces paiements, souvent exigés discrètement, rend leur dénonciation difficile. De nombreux patients renoncent à signaler les faits par crainte de représailles ou de complications pour leur prise en charge. Ce silence favorise l’impunité des praticiens concernés, comme le souligne le cas d’un chirurgien dénoncé mais toujours en activité.

Le phénomène ne semble pas isolé. L’organisation SOS Droits des Patients, active en Suisse romande, indique avoir enregistré plusieurs cas similaires dans les cantons de Vaud et Genève ces dernières années, impliquant également des montants de plusieurs milliers de francs, révèle 20min. Bien qu’aucune donnée chiffrée officielle ne permette de quantifier précisément le phénomène, les associations estiment qu’il est plus répandu qu’il n’y paraît.

Une législation insuffisamment claire et des interprétations divergentes

Sur le plan juridique, ces pratiques se situent dans une zone grise. Si leur caractère contraire à l’éthique médicale fait consensus, leur illégalité formelle reste sujette à interprétation. L’Association des médecins de Zurich et le Département de la santé de Bâle-Ville considèrent ces paiements comme strictement interdits. Selon eux, l’exigence d’un paiement non déclaré pour un soin déjà financé par l’assurance viole les règles de transparence et d’équité inhérentes au système de santé suisse.

D’autres acteurs institutionnels, comme le Département zurichois de la santé ou la Fédération des médecins helvétiques (FHM), avancent un point de vue plus nuancé. Ils considèrent qu’une « priorisation temporelle » des soins pourrait être envisagée comme une prestation supplémentaire, légitime dès lors que le patient en est informé et donne son accord explicite. Cette interprétation, bien que controversée, reflète une évolution du rapport entre l’offre médicale et la demande des patients dans un contexte de pression croissante sur les ressources du système de santé.

Cette divergence d’analyse freine l’adoption de mesures claires à l’échelle nationale. En l’absence de réglementation homogène, la gestion des signalements dépend largement des autorités cantonales et de la volonté individuelle des patients à dénoncer. Ce flou alimente les craintes d’une médecine à deux vitesses, dans laquelle la rapidité de prise en charge ne serait plus conditionnée par l’urgence médicale, mais par la capacité de paiement directe du patient.

La multiplication de ces cas remet en cause un principe fondamental du système helvétique : l’accès équitable aux soins. Si ces pratiques devaient s’installer durablement sans réponse réglementaire, elles pourraient sérieusement entamer la confiance des assurés dans leur système de santé et aggraver les inégalités sociales en matière de santé.

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