Ça grogne à Berne : malgré les coupes promises, l’administration atteint 39 500 postes fédéraux

Malgré une volonté affichée de rationalisation, l’administration fédérale suisse poursuit sa croissance, révélant une tension persistante entre exigences politiques, gestion budgétaire et réalités administratives.

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Ça grogne à Berne : malgré les coupes promises, l’administration atteint 39 500 postes fédéraux : Crédit : Canva | Econostrum.info - Suisse

Alors que la Confédération affiche un discours d’austérité, la réalité budgétaire prend une toute autre tournure. Le personnel fédéral ne cesse d’augmenter, avec près de 378 postes supplémentaires prévus pour 2025, portant le total à environ 39 500 emplois à plein temps. 

Cette croissance constante nourrit un débat de fond sur le rôle, la taille et l’efficacité de l’État. À l’heure des réformes structurelles, cette expansion interroge tant sur le plan politique qu’économique.

Une croissance soutenue mais inégalement répartie

Selon le projet de budget 2025, le Conseil fédéral prévoit une nouvelle hausse des effectifs fédéraux. Le Département de la défense, dirigé par Martin Pfister, sera le principal bénéficiaire avec près des deux tiers des nouveaux postes, concentrés dans des secteurs comme la défense aérienne, la cybersécurité ou encore l’acquisition d’armement. Cette augmentation intervient alors même que la Confédération prévoit de réaliser 180 millions de francs d’économies d’ici 2028, notamment par des réductions d’avantages sociaux, des abandons de tâches ou des gains d’efficacité.

Ces annonces de rigueur budgétaire contrastent avec la tendance observée sur la dernière décennie. Entre 2015 et 2024, l’effectif moyen de l’administration fédérale a crû de 11 %, et il atteindra 13 % d’ici 2026. Certains offices affichent des hausses nettement plus importantes : +40 % à l’Office fédéral de la santé publique, +30 % à l’Office fédéral de la statistique. D’autres augmentations sont liées à des ajustements structurels, comme l’intégration de la Bibliothèque nationale au sein de l’Office fédéral de la culture, qui a vu ses effectifs tripler.

Le Secrétariat d’État aux migrations et l’Office fédéral de l’informatique comptent chacun environ 500 postes supplémentaires sur la période, soit des hausses respectives de 50 % et 44 %. À noter également l’évolution de l’Institut de virologie et d’immunologie (+60 %) et du Bureau fédéral pour l’égalité entre hommes et femmes (+70 %), bien que ces deux entités restent de taille modeste en chiffres absolus.

Certains services, comme la Direction du développement et de la coopération, ont été intégrés dans les effectifs comptabilisés à partir de 2016, expliquant une partie de la progression au Département des affaires étrangères (+1200 postes). Dans d’autres cas, la croissance résulte d’une inflation législative. L’Office fédéral de la santé publique gérait 16 lois en 2016, contre 24 aujourd’hui, avec trois nouvelles en préparation. Selon l’économiste Kuno Schedler, cette accumulation de mandats découle directement de décisions politiques : à chaque nouvelle loi, une nouvelle charge de travail, et donc du personnel en plus, relate Watson.

Une contestation croissante sur fond de réforme structurelle

Face à cette croissance continue, les critiques se multiplient. Des organisations comme Economiesuisse dénoncent une tendance à la bureaucratisation. Les Jeunes Libéraux-Radicaux ont lancé une initiative intitulée « frein à l’administration excessive », visant à limiter l’augmentation des dépenses de personnel au rythme du salaire médian suisse. Des exceptions seraient prévues pour les EPF et les cas d’urgence. L’initiative est actuellement examinée par la Chancellerie fédérale.

Le professeur Schedler reste sceptique. Il souligne que les précédents gels d’effectifs n’ont pas empêché une croissance déguisée, via des externalisations ou des modifications de périmètre comptable. Pour lui, seule une contrainte budgétaire stricte permettrait de contenir la hausse. Il critique également l’incapacité de l’administration à réallouer ses ressources ou à mettre fin à certaines missions devenues secondaires, insistant sur une inertie structurelle qui favorise la croissance.

La résistance ne vient pas seulement du monde politique ou économique. Les syndicats du personnel fédéral ont réagi à cette pression en lançant une campagne intitulée « Basta ! Ça suffit », appelant à la préservation des conditions de travail. Certains offices, comme celui de la statistique ou de la santé publique, ont annoncé qu’ils ne pourraient plus remplir certaines missions en raison des économies exigées, au risque de réduire leur niveau de service.

Des tensions internes existent également. Le Département fédéral de l’intérieur a été critiqué pour avoir davantage augmenté ses effectifs que d’autres, provoquant des rivalités entre secrétariats. La Chancellerie fédérale affiche une hausse de 45 %, devancée par le Secrétariat général du DFI (+48 %), tandis que celui de l’économie a vu ses effectifs diminuer légèrement.

Pour autant, la situation suisse reste favorable au plan international. D’après les classements de l’IMD à Lausanne, la Suisse conserve la première place en matière d’efficacité de l’État. Certains offices font même figure de modèles en matière d’économies : la Monnaie fédérale a réduit ses effectifs de 25 %, l’Office fédéral du logement de 22 %, et l’Administration fiscale reste stable. Ces cas montrent qu’une gestion plus sobre reste possible, sans que cela nuise nécessairement à la performance des services publics.

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