Les bouleversements géopolitiques récents ont poussé les États européens à revoir leurs priorités en matière de défense. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, insiste sur la nécessité pour l’Union européenne de renforcer son autonomie stratégique. L’objectif est de réduire la dépendance du continent aux équipements militaires américains et de garantir une production locale plus robuste face aux menaces actuelles.
Ce virage stratégique a entraîné une augmentation des budgets militaires et une forte demande en équipements de défense. Selon Watson, le secteur de l’électronique militaire est particulièrement concerné, car la guerre moderne repose de plus en plus sur des technologies avancées, notamment des capteurs et des systèmes de communication sécurisés. Matthias Zoller, secrétaire général de Swiss ASD, souligne que le renseignement militaire dépend désormais davantage de l’électronique que des méthodes traditionnelles de surveillance.
Des entreprises suisses en quête de parts de marché
Plusieurs entreprises suisses tentent de capter une partie de ces investissements. Cicor Management, spécialisée dans les composants électroniques, a doublé son chiffre d’affaires militaire en 2024 après l’acquisition de deux sociétés du secteur. Son directeur, Alexander Hagemann, affirme que cette expansion n’est qu’un début et qu’il existe encore un fort potentiel de croissance en Allemagne et au Royaume-Uni, indique la source.
Variosystems, un autre fabricant suisse, a renforcé sa présence dans le domaine de la défense en rachetant en février Heicks Industrieelektronik, une entreprise allemande spécialisée dans les revêtements de protection pour les composants électroniques des drones militaires. Huber+Suhner, une entreprise argovienne, a également orienté son développement vers l’aéronautique et l’armement, un choix stratégique qui lui a permis de maintenir une croissance stable malgré des difficultés dans d’autres segments.
L’intérêt pour les équipements suisses se traduit par des commandes concrètes. General Dynamics European Land Systems (GDELS) a récemment signé un contrat pour la livraison de 256 véhicules blindés Piranha à l’armée allemande. Ces véhicules ne seront pas équipés de canons, mais de systèmes de transmission de données sécurisées, illustrant l’importance croissante de la technologie dans les conflits modernes, souligne le média helvétique.
Une industrie suisse freinée par sa législation
Malgré la forte demande en Europe, les entreprises suisses de l’armement sont confrontées à des restrictions légales qui limitent leur capacité à exporter. Toute vente de matériel militaire à un pays tiers doit obtenir l’autorisation du Conseil fédéral, une règle qui complique leur participation aux programmes d’armement européens. Cette contrainte a déjà freiné plusieurs transactions, notamment en lien avec la guerre en Ukraine, d’après les informations détaillées par Watson.
Les gouvernements européens s’adaptent en achetant des équipements en commun pour mieux les redistribuer entre eux. Matthias Zoller souligne que cette nouvelle approche exclut de facto la Suisse, car les États européens ne veulent pas être bloqués par les restrictions helvétiques. Par ailleurs, la législation suisse interdit l’exportation d’armes vers un pays en guerre ainsi que vers ses alliés, ce qui complique encore davantage les débouchés pour les fabricants suisses.
Ces obstacles ont des conséquences directes sur l’industrie. Swiss P Defence, qui produit des munitions à Thoune, risque de fermer. Safran Vectronix, spécialisée dans les appareils optiques militaires, fonctionne à flux tendu. Certains groupes se voient contraints de déplacer leur production à l’étranger. Giuseppe Chillari, directeur général de GDELS, précise que les véhicules Piranha commandés par l’Allemagne ne seront pas produits en Suisse, mais dans une usine en Roumanie.
Un débat politique sur l’avenir des exportations d’armes
Face aux difficultés du secteur, une réforme est en discussion au Parlement suisse. Un projet soutenu par le Parti libéral-radical et le Parti socialiste propose d’assouplir la législation pour permettre les exportations vers des pays appliquant les mêmes règles que la Suisse. L’objectif est d’intégrer les fabricants suisses aux circuits d’approvisionnement européens tout en évitant de multiplier les demandes d’autorisation au Conseil fédéral.
Toutefois, Matthias Zoller considère que cette initiative est trop limitée. Il estime qu’elle ne répond pas aux besoins à long terme du secteur et se concentre trop sur la situation en Ukraine. Un compromis pourrait être trouvé en autorisant les exportations vers certains États européens, avec la possibilité pour le Conseil fédéral de bloquer les transactions en cas de conflit.
Dans l’attente d’une évolution législative, certaines entreprises cherchent des alternatives. Cicor Management a récemment proposé de racheter plusieurs usines du groupe français Eolane, dont cinq en France et deux au Maroc. Si l’accord aboutit, ces nouveaux sites devraient générer 125 millions de francs suisses de chiffre d’affaires supplémentaires, principalement grâce aux commandes de l’industrie de l’armement.