Il y a vingt ans, le transport aérien de vêtements concernait principalement des livraisons urgentes de pièces haut de gamme pour des boutiques de luxe. Aujourd’hui, cette exclusivité a laissé place à une importation massive d’articles à bas prix, commandés en ligne par des consommateurs à la recherche de bonnes affaires. L’ONG Public Eye, citée par la Tribune de Genève, observe que cette tendance s’est accélérée en 2023 et 2024, atteignant un niveau record à l’automne dernier.
Cette évolution est le reflet d’un bouleversement des pratiques d’achat. Un sondage réalisé par Comparis, relayé par la même source, révèle qu’un adulte suisse sur deux a commandé sur au moins une des grandes plateformes chinoises au cours des douze derniers mois. Les prix cassés constituent la principale motivation des consommateurs, bien plus que la diversité des produits proposés. Cette demande croissante exerce une pression sur les infrastructures aéroportuaires et les services douaniers, qui doivent s’adapter à un flux inédit de colis.
Un volume de marchandises en forte augmentation
Les chiffres des douanes suisses montrent une explosion des volumes importés. Plus de 2000 tonnes de textiles, vêtements et chaussures arrivent chaque mois dans les aéroports du pays, soit plus du double des quantités enregistrées un an auparavant. Une situation comparable n’avait été observée que durant la pandémie de Covid, avec l’importation massive de masques et d’équipements de protection.
Selon Public Eye, environ trois quarts de ces articles proviennent de Chine. Ce volume représenterait l’équivalent de vingt avions-cargos Boeing 777 chargés à pleine capacité chaque mois, bien que ces marchandises voyagent souvent réparties dans les soutes des vols réguliers. L’aéroport de Bâle serait l’un des principaux points d’entrée, au même titre que celui de Zurich.
Temu et Shein redéfinissent la consommation en Suisse
L’essor des achats sur les plateformes chinoises à bas prix modifie profondément les habitudes des consommateurs suisses. Le sondage de Comparis, met en évidence une adhésion particulièrement forte en Suisse romande et au Tessin. La motivation principale des acheteurs reste les prix très attractifs, qui surpassent largement l’intérêt pour la diversité des produits.
Public Eye souligne que la rentabilité de ces importations massives repose sur un modèle économique spécifique. La valeur moyenne des articles importés par avion est estimée à moins de 40 francs par kilo, tandis que le coût du transport aérien varie entre 3 et 5 francs le kilo.
Si Shein parvient à dégager des bénéfices, la situation est plus incertaine pour Temu, qui a subi d’importantes pertes au début de son expansion internationale. L’été dernier, la colère des fournisseurs chinois de Temu, qui avaient manifesté devant le siège du groupe à Canton, a mis en lumière la pression exercée sur les prix et les marges dans l’ensemble de la filière.
Une pression économique et environnementale croissante
L’impact écologique de cette explosion des importations par avion soulève des préoccupations. Le transport aérien génère jusqu’à 50 fois plus de gaz à effet de serre que le fret maritime pour un trajet entre la Chine et l’Europe. Conscient des critiques, Shein s’est engagé à réduire ses émissions de 25 % d’ici 2030, mais cette mesure ne modifie pas fondamentalement l’empreinte carbone du modèle actuel.
Les évolutions réglementaires pourraient également perturber ce commerce. Aux États-Unis, l’administration Trump a tenté de supprimer une exonération de droits de douane pour les colis de moins de 800 dollars, mais a dû faire marche arrière après l’accumulation d’un million de colis bloqués à l’aéroport JFK de New York. En Europe, la Commission européenne envisage de mettre fin à une exemption similaire pour les colis de moins de 150 euros, un changement qui concernerait des millions d’envois quotidiens en provenance de Chine.
En Suisse, les règles ont déjà évolué. Depuis le 1er janvier 2024, les taxes douanières sur ces importations ont été supprimées, mais la franchise de TVA sur les colis de moins de 62 francs a été abolie. La Tribune de Genève rapporte que ces modifications pourraient influer sur la rentabilité des achats en ligne et ralentir la croissance des importations. Face à ces incertitudes, Shein a reporté son entrée en bourse à Londres, ajustant la valorisation de l’entreprise pour attirer des investisseurs, tandis que Temu tente de stabiliser son modèle après une expansion rapide.