Les enfants de l’aide sociale sont en moins bonne santé que les autres. Victimes d’isolement, au déficit affectif, et souvent confrontés à une prise en charge sanitaire insuffisante, cette population d'enfants perd jusqu’à 20 ans d’espérance de vie, alertent des spécialistes.
La santé des enfants de l’aide sociale est fragilisée par rapport à celle des autres enfants. C’est la conclusion d’une enquête menée par Elodie Guéguen de la cellule d’investigation de Radio France. Celle-ci s’est intéressée à cette catégorie vulnérable regroupant notamment des nouveau-nés séparés de leurs parents à leur naissance, à la suite d’une ordonnance de placement et aux adolescents pris en charge dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). L'étude a abouti à cette sentence qui interpelle : « Les enfants de l’ASE sont en moins bonne santé que les autres ».
À commencer par ces nouveau-nés, séparés de leur mère et privés de toute « figure d’attachement », qui présentent, à terme, des syndromes dépressifs sévères pouvant aller jusqu’à se laisser mourir. « C’est une période de la vie très importante pour le développement du cerveau. On se demande quelles séquelles ces petits vont garder parce qu’ils sont restés trois mois à l’hôpital sans avoir à leur côté une vraie figure d'attachement », s’interroge Nathalie Vabres, responsable de l’unité d’accueil pédiatrique enfants en danger du CHU de Nantes. Les adolescents de l’ASE ne sont pas mieux lotis. Même ceux qui ont été épargnés par la violence, ils endurent une enfance sans affection. Mais quelles sont les séquelles des traumatismes infantiles sur l’organisme ?
Les enfants victimes de violence perdent jusqu’à 20 ans d’espérance de vie
« Les violences et les négligences subies dans l’enfance vont avoir des conséquences sur le système neuro-immuno-endocrino-génétique des adultes », répond Céline Gréco, cheffe du service médecine palliative et douleur à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris (AP-HP). Les enfants victimes de violence perdent jusqu’à 20 ans d’espérance de vie, alerte la cellule d’investigation de Radio France qui renvoie à une alerte de The Burke Foudation. « Ils vont développer deux fois plus de maladies cardio-vasculaires, de cancers, d’AVC, trois fois plus d’insuffisances respiratoires, 11 fois plus de démences, il y aura 37 fois plus de syndromes dépressifs et de tentatives de suicide... », détaille Dr Gréco.
340 000 jeunes vivent « sous protection »
En France, ils sont environ 340 000 jeunes à vivre « sous protection ». C’est autant ou presque d’« enfants de l’ASE moins bien pris en charge que les autres sur le plan médical », révélait en 2022 le rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance cité par ladite cellule. On déplore surtout l’inadaptation de ces structures sanitaires d’accueil qui aggrave la détresse psychique. Au service de pédiatrie générale de l’hôpital Necker, les adolescents dits « difficiles » se mélangent aux bébés très malades, fait remarquer Elodie Guéguen.
« En raison d'un défaut de place ailleurs, on va être obligé de les surmédicaliser […] On ne peut pas les laisser déambuler, crier et jeter des objets », reconnaît Pr Martin Chalumeau. Dans un foyer où il exerçait, au Havre, la plupart des adolescentes étaient sous anxiolytiques, déplore-t-il encore. Les soins au quotidien de cette frange en pâtissent aussi.
La cellule indique que « le tarif des consultations dans le privé est aussi un frein pour les Conseils départementaux qui financent l’aide sociale à l’enfance ». Selon une étude publiée dans la célèbre revue scientifique britannique The Lancet, cité par Radio France, le coût global de la mauvaise prise en charge des enfants victimes de violence « serait de l’ordre de 38 milliards de dollars pour un pays comme la France ».