L’Assurance maladie a annoncé avoir détecté et stoppé pour 628 millions d’euros de fraudes aux arrêts maladie en 2024, soit plus du double en cinq ans. Parmi elles, les fraudes liées aux arrêts maladie prennent une place croissante. Dans ce contexte, plusieurs entreprises font appel à des détectives privés pour enquêter sur certains de leurs salariés.
Fabrice Lehmann, détective privé depuis 1994, illustre cette pratique en racontant avoir suivi un salarié du secteur financier officiellement en arrêt depuis plusieurs mois. L’homme, observé lors de ses déplacements, donnait des signes d’activité professionnelle. Selon Fabrice Lehmann, qui s’est confié à Reuters, ses interventions concernent de plus en plus des employés qualifiés, parfois soupçonnés de travailler pour des concurrents ou de développer une activité parallèle.
Selon la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), les dépenses d’indemnités journalières ont progressé de 27,9 % entre 2019 et 2023. Cette hausse s’explique à 60 % par des facteurs démographiques et économiques, mais la part restante est attribuée à une augmentation du nombre et de la durée des arrêts. En 2024, la Cnam affirme avoir détecté 42 millions d’euros de fraudes sur les indemnités journalières liées aux arrêts de travail, contre 17 millions en 2023.
La traque des arrêts maladie frauduleux, une activité en expansion pour les détectives privés
Reuters a interrogé cinq détectives privés qui confirment tous une forte hausse de leurs contrats liés aux arrêts maladie. Baptiste Pannaud affirme que ces missions ont plus que doublé en quatre ans. Certains détectives, comme Patrice Le Bec, expliquent que leurs enquêtes révèlent parfois des salariés en arrêt se rendant directement à l’aéroport pour partir en vacances. Fabrice Lehmann compare ces situations à des affaires de trahison financière, similaires à ce qu’il observait dans des dossiers conjugaux.
Les coûts pour l’Assurance maladie et les employeurs sont conséquents. Le montant maximal d’une indemnité journalière versée par la Sécurité sociale est fixé à 41,47 euros pour une durée maximale de trois ans. De nombreux employeurs complètent ce montant, couvrant tout ou partie du salaire pendant la période d’arrêt. Selon les accords de branche, certains prennent également en charge les jours de carence.
Un rapport de l’Inspection générale des finances publié en 2024 indique que les absences pour raison de santé dans la fonction publique atteignaient 14,5 jours par agent en 2022, contre 11,7 jours dans le secteur privé. Les règles de carence expliquent en partie cet écart : les fonctionnaires ne subissent qu’un seul jour de carence, contre trois dans le secteur privé. En Allemagne, le nombre moyen de jours d’arrêt par salarié atteignait 14,8 en 2024, selon les statistiques officielles.
François Bayrou a déclaré en juillet que la moitié des arrêts maladie supérieurs à 18 mois étaient injustifiés. « Ceci n’est pas acceptable dans un pays comme le nôtre et dans une période comme celle que nous vivons », a-t-il affirmé.
Débat autour de la fraude et de la culture de l’absentéisme
Tous les détectives ne partagent pas la même vision de l’efficacité de leurs interventions. Bruno Boivin, interrogé par Reuters, a évoqué une mission pour une entreprise de transport public où 30 % du personnel d’un service était en arrêt. Malgré plusieurs cas de fraude avérés, il affirme que l’absence de sanctions a conduit son client à ne plus recourir à ses services.
Les données de l’institut Mercer montrent que le taux d’absentéisme est passé de 4,8 % en 2021 à 5,8 % en 2024, avec 31 % des salariés s’étant arrêtés au moins une fois dans l’année. L’économiste Jean-Claude Delgènes estime que la culture managériale française, marquée par une organisation verticale et autoritaire, contribue à cet état de fait.
Sabrina Ali Benali, médecin urgentiste et coautrice des propositions de La France Insoumise en matière de santé, considère pour sa part que l’idée d’une fraude généralisée est « un pur fantasme ». Si elle admet recevoir des demandes d’arrêts de complaisance, elle affirme que ces cas ne représentent pas la norme.
Entre la volonté de lutter contre les abus et la mise en cause des conditions de travail, les enquêtes confiées aux détectives privés soulignent les tensions autour de la gestion des arrêts maladie en France.








